Critique : Tchekhov enfin libre

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Critique parue dans Rue du théâtre le 20 juillet 2015.

Platonov

Tchekhov enfin libre

Par Christophe NONNENMACHER

Publié le 20 juillet 2015

Retour aux sources de Tchekhov pour ce Platonov à la sauce balkanique en mode cynico-festif. Libre d’esprit et épuré de toutes lourdeurs inutiles, Platonov séduit.

play_3114_thumbh_platonovTchekhov… Sept lettres pour un classique ennui dramaturgique. Certains, bien sûr, rejetteront cette affirmation. Tchekhov a aussi ses adeptes, épris d’âme russe, de drames et de larmes, mais force est de constater que rares sont ceux qui ne succombent pas aux longueurs pesantes des adaptations made in France. Alors, forcément, en se dirigeant vers l’Espace Alya, le pas se faisait pesant même si l’on espérait que le Platonov de Tchekhov revisité à la sauce balkanique par la compagnie Libre d’Esprit échapperait à la règle sous la mise en scène de Nikson Pitaqaj.

Platonov, prévenait Nikson, est « une pièce monstrueusement riche, d’une abondance de thèmes qu’elle traite avec une effroyable lucidité et une grande profondeur ». Mais aussi, comme l’oeuvre de Tchekhov, « une comédie », contrairement à ce qu’en laisse trop souvent penser la scène théâtrale hexagonale. Il y a de la joie dans ce Platonov « libre d’esprit » une énergie débordante, une naïveté de l’instant, mais également un cynisme absolu. Une douleur d’être, d’exister, d’aimer et de se sentir aimé sans autre calcul, sans autre vérité au risque de briser. Platonov est tout cela à la fois, une forme d’humanité désabusée, une multitude de vérités crues, cruelles parfois, allant jusqu’à le perdre par incapacité à s’en choisir une, de peur d’en travestir les autres. Celles d’autres amours, d’autres désirs, auxquels Platonov ne peut ou ne veut mentir ni échapper.

Le refus du mensonge ? Le même que celui de ces éternelles mises en scène trop chargées et auxquelles s’est refusé Nikson. Plus que des artifices, des décors baroques ou oniriques, c’est du langage du corps dont la compagnie se nourrit. Scénographie épurée jusqu’au possible, donc, pour ce Platonov mais qui n’enlève rien au festif, au cynisme, à la seule vérité du « libre ». Et c’est là sans doute, avec la prestation d’un immense Henri Vatin en Platonov, l’autre belle surprise de ce Tchekhov : celle d’une histoire réduite à sa plus pure sensibilité jouée et scénographiée, hors du temps et des clichés. D’un texte enfin libre, populaire, accessible, résonnant et magnifiant, comme Tchekhov l’avait sans doute conçu.