Texte : Nino Noskin
Mise en scène : Nikson Pitaqaj
Avec :
Henri Vatin
Lina Cespedes
Yan Brailowsky
Zachary Lebourg
Anne-Sophie Pathé
Nikson Pitaqaj
Marc Enche
Elise Pradinas
Création lumières
Piotr Ninkov
Décor
Sokol Prishtina
Costumes
Drita Noli
Présentation de la Tétralogie RAKI : cliquer ici
Résumé
En attendant la Mort est une fable guerrière où un fils prodigue, parti se battre contre la volonté de sa famille, revient de la Guerre comme un fantôme errant, non parce qu’il est mort au combat, mais parce qu’il est mort « de l’intérieur ». L’Après-Guerre est une Avant-Guerre.
Note de présentation
Sur un bûcher, une famille attend. Le père, la mère, le fils et la fille.
Qu’attendent-ils ?Pourquoi attendent-ils ? Savent-ils seulement ce qu’ils attendent ? Cette famille représente les sacrifiés christiques de la Guerre prescrite par les hautes instances politiques et militaires. On assiste à la confusion de la sphère publique et de la sphère privée, à l’holocauste des populations sur l’autel de la Guerre. Ce qui se passe à l’extérieur échappe à cette famille et, par conséquent, l’effraie. Cette peur est précisément le terreau de la Guerre, elle la crée et l’entretient dans un mouvement circulaire infernal, éternel et universel. Dans l’ignorance, paralysés, les membres de cette famille attendent… Ils attendent la Guerre. Ils attendent la mort…
Mise en scène et scénographie
Les personnages ne parlent pas, ou peu. Ce qu’ils vivent les dépasse et ne peut être exprimé. En adéquation avec le texte dans lequel les points de suspension ont la part belle, le corps est le vecteur privilégié du propos. La mise en scène est brute, primitive et visuelle au-delà des grands discours juges, explicatifs ou moralisateurs. Ainsi, le théâtre, spectacle vivant, a pour objectif d’exorciser le traumatisme en réanimant les héros que la Guerre a entraînés dans une forme de mort. Le travail de mémoire à effectuer n’est pas spécifique à telle ou telle guerre, il est destiné à l’Humain, c’est certainement pourquoi Nino Noskin choisit de ne pas situer ni dater En attendant la Mort, qui devient allégorie. La famille est sans espérance, elle n’attend pas Godot, elle se prépare à subir chez elle l’intrusion d’un groupe d’hommes avinés, corrompus et licencieux. La Guerre fait alors irruption dans leur maison. La famille essuie les humiliations d’usage. Quelle lutte entre deux types de victimes d’une même Guerre ? Comment ces hommes ont-ils perdu leur humanité ? Comment cette famille est-elle immolée par ses frères sur l’autel d’une même Guerre ? La tragédie semble inévitable, mais elle est évitée. Menacé, le fils est parvenu à se cacher. Il part se battre, il en revient vivant. L’indicible, la paralysie de la parole libératrice, la fête organisée pour un retour victorieux de la Guerre, l’impossibilité notoire d’en revenir indemne, le quotidien immuable, celui qui fait le lien entre la vie ordinaire de celui qui a été préservé et la vie fantomatique d’un revenant de Guerre.
Alors commence une irrésolution troublée, entre une réalité qui n’est plus mais qui altère celle qui reprend ses droits. Avant de l’embrasser, sa famille le craint, croyant voir un fantôme. Le fils est bien vivant, toutefois la famille voit juste. Le fils ne raconte pas ce qu’il a vécu. Il ne peut pas. Le langage échoue à exorciser le traumatisme de la Guerre. Il n’y a pas de mots, pas d’analyse, pas de grands discours de sa part, simplement un état léthargique hébété. En un sens, un fossé incommensurable la séparera à tout jamais du fils, « passé de l’autre côté ». Désormais, le fils est brisé, isolé, hors du monde. La Guerre est terminée. Le monde d’après-guerre devient une réalité parallèle, où l’on feint de vivre hors du passé, alors que le passé est toujours présent. La Guerre terminée, la vie reprend son cours, les gestes du quotidien reviennent. Seule l’insouciance de ce quotidien ne reviendra jamais. On pense la guerre finie ! Non, elle continue. La famille est vivante mais elle est anesthésiée.
Rendus insensibles à la mort, ils sont devenus insensibles à la vie. Ils ne sont certes pas morts à la Guerre, mais ils n’appartiennent plus au monde des vivants. Ils ne sont plus eux-mêmes, ils n’en sont que l’ombre, ils sont des revenants de la Guerre. La scénographie est minimaliste. Située au centre de la scène, elle a pour objectif de concentrer l’action dans un espace limité, comme pour souligner l’enfermement des personnages dans leur situation, et ainsi augmenter la tension des regards vers eux.
Après Mon Ami Paranoïaque, qui traitait des origines et des causes de la peur et de la violence sur le plan de l’individu, mettre en scène Nino Noskin pour la deuxième fois est pour moi la continuité évidente d’un travail, autant que l’approfondissement d’un questionnement : En attendant la Mort, deuxième volet du projet Raki, interroge sur les effets de la guerre sur une population plongée malgré elle au cœur de l’incompréhensible.
*Illustrations : Monsieur U
Graphisme : Ozan