Résumé

Pour le docteur Knock, qui débarque dans le bourg de Saint-­Maurice, persuader ses nouveaux concitoyens de cet état de fait est un jeu d’enfant. Surtout avec une consultation gratuite tous les lundis, et la complicité, involontaire, de l’instituteur et du pharmacien…

« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. »

Knock de Jules Romain

Avec :
Henri Vatin, Yan Brailowsky, Lina Cespedes, Anne-Sophie Pathé, Marc Enche, Frédéric Slama, Oscar Hernandez.

Mise en scène Nikson Pitaqaj

Jules Romains

Fils d’instituteurs, né à Saint­-Julien­-en­-Chapteuil le 26 août 1885 et décédé à Paris le 14 août 1972, Jules Romains grandit à Montmartre dans le respect de l’idéal laïque et rationaliste.
Après des études au lycée Condorcet, il est reçu en 1906 à l’agrégation en philosophie. En 1909, il devient enseignant. Il publie son premier recueil de poèmes en 1904. L’idée maîtresse de toute son œuvre est l’unanimisme selon lequel la somme des âmes individuelles crée une âme collective régissant un groupe social, affirmant ainsi un lien quasi-­mystique entre les êtres et la nature, et entre les êtres eux­-mêmes. Jules Romains expose sa théorie dans Le Manuel de déification (1910), l’exprime dans sa poésie La Vie unanime (1908) et Le Premier Livre de prières (1909), et dans ses romans : Mort de quelqu’un (1911), et Les Copains (1913). Au théâtre également, Jules Romains s’intéresse aux chefs qui manipulent les inconscients collectifs, comme dans M. Le Trouhadec saisi par la débauche (1923) et son célèbre Knock ou le triomphe de la médecine (1924). Son œuvre maîtresse, Les Hommes de bonne volonté, vingt­-sept volumes publiés de 1932 à 1946, est une fresque unanimiste qui suit le destin d’une multitude de personnages de 1908 à 1933, mêlant grande et petite histoire, avec en fil rouge deux protagonistes. La technique de la variation des points de vue permet à Jules Romains de donner une vision kaléidoscopique des événements dans le but de représenter la totalité de l’expérience humaine. En 1946, Jules Romains est élu à l’Académie française.

Knock : une manipulation à grande échelle

Knock est l’illustration comique, sinon parfaite, de la manipulation à grande échelle. Que sont la propagande, la publicité, les discours démagogiques, populistes, les sectes, les religions, l’armée ou encore les campagnes politiques ? Un dérivé de la théorie de Knock, rien de plus. Jules Romains nous expose les fondements de ce pouvoir sur les masses. Le personnage qu’il crée n’est pas tant un médecin escroc que l’apôtre d’une nouvelle religion, la science, qui devient un outil permettant d’assujettir la population. Knock est une des pièces les plus connues du répertoire contemporain. Qui ne connaît la célèbre réplique : « ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? » Paradoxalement, cette pièce est également une des œuvres les plus méconnues. En effet, elle est très peu montée depuis l’interprétation légendaire de Louis Jouvet dans sa création au théâtre en 1926 ainsi que dans ses versions cinématographiques (réalisées par Roger Goupillières en 1933 et par Guy Lefranc en 1951).

« Vous êtes trop bon, docteur. Mais c’est donc grave, ce que j’ai ? »
« Ce n’est peut­-être pas encore très grave. Il était temps de vous soigner… »

Connue, mais peu montée, cette pièce est pourtant diablement d’actualité, puisqu’elle parle d’une société effrayée, claustrophobe et frileuse, phobique et névrosée, en proie à la peur de l’Autre, et obsédée par le discours tour à tour inquiétant et rassurant de la Science. La société du bourg de Saint­-Maurice décrite dans la pièce est finalement bien proche de la nôtre, où les épidémies, les attentats et autres catastrophes, annoncés de façon à provoquer l’angoisse, poussent les hommes à rester cloîtrés chez eux, en proie à l’hypocondrie. Après les peurs provoquées par l’épidémie de la vache folle, la grippe aviaire, ou le virus H1N1, nous assistons au retour du Dr. Knock.

*Photographies : Gérard Marché

« La vérité, c’est que nous manquons tous d’audace, que personne, pas même moi, n’osera aller jusqu’au bout et mettre toute une population au lit, pour voir, pour voir ! ».

Ces thèmes profonds sont traités de façon hilarante par la plume de Jules Romains qui cisèle une galerie de personnages hauts en couleurs. La mise en scène mettra en valeur ces thèmes et ces personnages, en explorant toutes les dimensions comiques d’une pièce qui, bien que critique vis-­à-­vis de la société, est un remède salutaire au catastrophisme ambiant.

Adaptation

Knock fait aujourd’hui partie des personnages emblématiques du théâtre français, à l’instar de Don Juan ou de Tartuffe. Mais comme ses illustres prédécesseurs, Knock n’est pas un Machiavel au cœur froid. Ce séducteur qui professe « le style médical » apparaît même, de prime abord, comme un personnage fantasque que le docteur Parpalaid n’hésite pas à appeler de « chimérique ».

Cette adaptation cherche ainsi à nous faire redécouvrir ce qui, chez Knock, peut permettre la manipulation à grande échelle, ce qui la rend innocente, voire désirable. Knock, on le voit très rapidement, n’est là que pour tendre un miroir à la société, afin qu’elle découvre par elle­même ses maladies ou ses angoisses. Au cours des scènes, l’on s’aperçoit alors que c’est la population de Saint­-Maurice qui, par son comportement, ses préjugés et ses peurs, encourage le nouveau docteur à distribuer des ordonnances comme des bonbons et à mettre progressivement toute la population au lit. La population tout entière est ainsi complice de cette vaste supercherie.La crédulité et l’incrédulité participent d’une même paranoïa collective, et Knock ne fait que suivre, avant de les exploiter, les inclinations naturelles des individus, de l’humble tambour de ville à la riche héritière, de l’instituteur au pharmacien.
La pièce, construite en trois actes, illustre cette transformation, avec un découpage temporel entre passé, présent et avenir. Le premier acte montre d’abord avec quelque nostalgie une population en bonne santé, des personnages joyeux, folkloriques, illustrant le monde des fêtes foraines et le bon sens paysan. Après l’arrivée du Dr. Knock, l’acte 2 fait place à une atmosphère plus inquiétante, où les personnages autrefois si vivants découvrent, effarés, qu’ils sont « plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide ». L’acte 3, qui annonce l’avenir et le triomphe de la médecine, dévoile une population tout entière au lit, dont la vie est à présent régie par les prescriptions du Dr. Knock.

« Depuis mon enfance, j’ai toujours lu avec passion les annonces médicales et pharmaceutiques des journaux, ainsi que les prospectus intitulés « mode d’emploi ». Dès l’âge de neuf ans, je savais par cœur des tirades entières sur l’exonération imparfaite du constipé. Ces textes m’ont rendu familier de bonne heure avec le style de la profession… » (Acte 1)

Note de mise en scène

Loin de chercher les effets comiques rendus possibles par la précision géniale de l’écriture, le jeu des comédiens nous invite d’abord à comprendre les personnages, voire à nous identifier avec eux.
Le premier acte dévoile une scène vide qu’occupent des personnages pleins de vie et d’humour. C’est le temps de la musique et de la fête.
L’acte 2, en revanche, s’ouvre sur un espace resserré autour d’une chaise au centre du plateau. C’est le temps de l’interrogatoire et des interrogations d’une société qui découvre les théories « profondément modernes » du nouveau médecin du pays. Le jeu des comédiens demeure cependant léger et rapide, surprenant le spectateur avec humour et absurdité.
Le dernier acte se débarrasse de la chaise et fait place à une multitude de lits où gisent des malades. L’espace privé est oblitéré à la faveur de lieux « hygiéniques » qui, paradoxalement, expriment l’enfermement dans un système totalitaire où trône la médecine et ses infirmiers­-aubergistes.
Ce n’est qu’à la fin de la pièce que l’on comprend l’étendue de la folie des personnages et le sens profondément comique (ou tragique) de la pièce. En cela, la pièce effectue chez le spectateur la célèbre catharsis, ou purgation (encore un terme médical !), qu’affectionnaient les Anciens.
Au terme de la représentation, une question demeure dans les esprits : « Mais … comment en est-­on arrivés là ? » L’on s’aperçoit alors à quel point la pièce de Jules Romains reste d’une brûlante actualité et d’une drôlerie assassine.

Nikson Pitaqaj

Scénographie de la « Lumière Médicale »

La scénographie suit la construction de la pièce et explore le sens de la dernière didascalie de la pièce, où Jules Romains parle de « Lumière Médicale ». Le premier acte est lumineux, rien ne vient encombrer le plateau, laissant aux personnages le soin de mettre en valeur leur énergie. Le deuxième acte est éclairé au néon, avec une lumière resserrée autour de la chaise qui trône au centre du plateau. L’atmosphère rappelle celle des commissariats de police dans les films noirs des années 40 ou encore les tentes de chirurgiens militaires. Le troisième acte est éclairé avec de la lumière noire qui fait éclater les tissus blancs, la maladie, la pâleur… bref, les couleurs (in)hospitalières de la science moderne que défend le Dr. Knock. Celui­-ci n’hésite alors plus à se mêler aux spectateurs qui sont, eux aussi, nimbés de blanc.


Graphisme : Ozan

 

 

Avec le soutien du théâtre de Bougival (78), de la SPEDIDAM et d'ADAMI.
Une création en résidence à l'Épée de Bois (Cartoucherie),
avec le soutien du Théâtre le Grenier (78), du Théâtre Royale Factory (78),
du Festival Antigel (CG78), de L'Aphélie et Nouvelle Vague.
Création le 6 décembre 2011.