D’après Heinrich von Kleist

La marquise d'O...Mise en scène: Nikson Pitaqaj
Assistante: Anne-Sophie Pathé
Adaptation: Nikson Pitaqaj
Musique: Grégoire Lorieux
Costumes: Tifenn Deschamps

La marquise d’O… est une jeune veuve, mère de deux enfants. Lors de la mise à sac de sa ville, elle est sauvée par un officier, comte de son état. Quelque temps plus tard, elle se découvre enceinte, alors qu’elle n’a connu aucune relation depuis la mort de son mari. Sa famille la rejette pour fuir le scandale, alors que le comte lui fait une cour pressante…

Avec

Henri Vatin
Joseph Hernandez
Coralie Pradet
Leslie Salomon
Yan Brailowsky
Zachary Lebourg
Lina Cespedes
Luigi Cerri
Florence Bolufer
Luna Pitaqaj

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Heinrich von Kleist (1777–1811)

Auteur romantique allemand dont les nouvelles, les pièces et les œuvres théoriques eurent une influence considérable sur la littérature européenne du XIXe et XXe siècles. Précurseur d’Ibsen et de Kafka, Kleist développe dans son œuvre une vision détaillée, grotesque et ironique de l’émotion humaine. Parmi ses pièces les plus célèbres : Penthésilée, La Petite Catherine de Heilbronn, et  Le Prince de HombourgLa Marquise d’O… est une nouvelle parue pour la première fois dans la revue Phœbus en 1808.

Une œuvre moderne sacrée et profane

Œuvre composite, La Marquise d’O… nous invite à nous interroger sur des questions sacrées et profanes, anciennes et modernes, comme les mystères de l’Annonciation et le désir refoulé. Avec Kleist, au miracle ineffable rapporté par les Évangiles succède l’opprobre de la société petite bourgeoise du premier XIXe siècle, et ses codes de moralité, que les élans romantiques du dramaturge ne cessent de remettre en question.

Si j’ai souhaité mettre en scène cette nouvelle en France aujourd’hui, ce n’est pas pour chercher à répondre aux débats sur l’identité nationale ou sur le port de la burqa, ni pour parler du rôle des femmes dans la société. La Marquise d’O… nous invite plutôt à explorer les différentes façon de construire la honte et de représenter les violences faites aux femmes, ou comment la rumeur et les croyances pèsent sur les mentalités du monde moderne… autant de questions a priori profanes, mais qui relèvent pourtant bien du sacré, c’est-à-dire, de ce que l’on ne doit pas violer.

De l’Italie du Nord envahie par les Russes aux Balkans déchirés par la guerre

Alors que le conte de Kleist situe l’action dans l’Italie du Nord envahie par les troupes russes, cette nouvelle adaptation se propose de transposer l’histoire à peine plus à l’Est, dans le seul territoire européen ayant connu récemment des bouleversements de cette ampleur : les Balkans. Il y a à peine une génération, cette région d’Europe fut plongée dans la guerre civile, de nombreuses femmes furent victimes de viols collectifs, les peuples furent divisés entre groupes pro-occidentaux et factions pro-russes, et l’on ne savait plus qui était ami, qui ennemi. Avec  La Marquise d’O…, j’ai voulu montrer une des conséquences de la guerre, c’est-à-dire le sentiment d’incrédulité et d’humiliation.

Après avoir travaillé sur Crime et châtiment, en restant proche du roman de Dostoïevski, tout en ne situant pas la pièce dans une époque ou un pays particulier, j’ai choisi de placer l’histoire de ce nouveau projet clairement dans mon pays d’origine, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Les Balkans, carrefour de l’Europe de l’Orient, sont une concentration de peuples, mais aussi un endroit marqué par la fierté des hommes, la loi du silence, la vengeance et la guerre. C’est à cette source, dans le souvenir de mon enfance, que j’ai voulu plonger pour raconter l’histoire d’une femme rejetée par sa famille et qui, tombée mystérieusement enceinte, paie le prix du déshonneur qu’elle inflige à son entourage. La loi du silence, l’isolement, la violence et la guerre viennent détruire la moindre parcelle d’humanité qui peut encore subsister chez les hommes.

Une mise en scène où le regard et l’ouïe révèlent le sens des mots

La marquise et sa mère

Pour exprimer le non-dit et le refoulement du désir, l’adaptation a sciemment réduit la place du dialogue. L’effroi et l’incompréhension de l’héroïne se traduit ainsi par une plus grande expression visuelle et un traitement musical et rythmique de l’histoire. Le silence, les lumières, le jeu des comédiens, et la musique permettront de représenter l’ellipse et le mystère que sont le viol et la conception de l’enfant de la Marquise, mais aussi son incrédulité, et ses hésitations.

À travers leur silence, les acteurs cherchent à traduire la folie du désir et de la honte, mais aussi de la honte du désir, au rythme de leur inspiration.

Ils se laissent traverser par les sensations et les sentiments afin de mieux prendre note intérieurement et rester à l’écoute — pour mieux se permettre des moments de contemplation, et augmenter ainsi leur capacité à frôler le danger, et à inquiéter le spectateur. Jusqu’au tomber du rideau, le spectateur se retrouvera dans la position de la Marquise, incapable de se convaincre de la culpabilité du Comte fougueux que l’on croyait mort, mais qui a ressuscité.

Le travail de mise en scène a été mené en collaboration avec le compositeur Grégoire Lorieux, avec lequel je travaille depuis trois ans, et qui a reçu le prix des jeunes compositeurs de la Sacem en 2009.

La musique accompagne les déplacements des personnages, mettant en relief les silences qu’ils échangent quand le temps s’arrête. Une bande-son très présente tout au long de la pièce devient un élément majeur de l’histoire elle-même. Avec la musique, la représentation théâtrale prendra une dimension universelle et quasi onirique, invitant les spectateurs à rêver, ou à cauchemarder, avec la Comtesse, sa mère, son père, son frère, ou avec le Comte, à la fois Sauveur et violeur, incarnant à la fois l’harmonie et le chaos.

Le Comte

La scénographie dépasse l’espace propre du plateau, puisque un proscenium agrandit l’espace en avant-scène et créé des dénivellations différentes sur le plateau. Le fond de la scène, qui délimite le plateau, est également exploité puisque certains lieux y sont situés, comme le dehors de l’univers des personnages. Sur la scène, les différents lieux sont matérialisés par des décors minimalistes et des effets d’éclairage. Avec cette scène dénudée,  La Marquise d’O… nous invite à rêver et à décorer la scène avec notre imagination et nos sensations. À la fin du spectacle, le spectateur comprendra combien il est difficile et tentant de terminer de prononcer le nom d’une Marquise dont nous ne connaissons, en réalité, que la première voyelle.

Nikson Pitaqaj